Peux-tu comprendre

Qu'il me suffit de rencontrer une femme aux yeux noirs
Soulignés de khôl pour raviver ma mémoire
Qu'il me suffit du bonjour du soleil
Pour que je tombe de merveille en merveille
Des frissons d'amour courent sur mon corps
Pour des souvenirs d'un passé qui est mort

Peux-tu comprendre

Qu'il me suffit de marcher sur du sable chaud
De longer ces maisons peintes à la chaux
Dans la rosée du matin, aller de couleur en couleur
Pour entendre des patriotes la clameur
Dans un dernier souffle de vie
Par des assassins poursuivis
Vive la France   Vive la France
Et ils tombèrent jeunes et remplis d'espérance

Peux-tu comprendre

Qu'il me suffit d'un ciel étoilé et d'un clair de lune
Pour que mon sommeil me transporte sur ses dunes
J'écoute les bavardages d'une fine oreille
Des voix douces remontent de dessous la treille
Un langage de français et d'arabe mitigé
Des potagers, des orangers  jusqu'à la ville d'Alger
Pour un drapeau aux trois couleurs que nous voulions garder
Un rêve, une idée qui n'a jamais été élucidé

Peux-tu comprendre

©SuzanneServeraRipoll
Y a t-il une route ?

Y a t-il une route 
Qui me mènera vers toi ?
Chercherais-je le chemin
Une lampe à la main ?
Maman disait, « toutes les routes mènent à Rome »
Hum, je crois que je coure après un fantôme !
Avec sourire et yeux doux, je fais patience
Et gentiment panse mes souffrances
Toi, mon fantôme, je te vois dans un brouillard
Tu te réjouis à me faire entendre tes chants nasillards
Y a t-il une route
Qui me mènera vers toi ?
Aujourd'hui, demain, passagère
Je ne trouve les chemins d'hier
Aussi loin que je suis
Je te respire, je te sens, je ne trouve l'ennui
Revenir !  Pourquoi ?
Je ne te retrouverai pas comme autrefois 
Est-ce le passé ou le présent qui est narquois ?
A quoi bon les pourquoi !
La route qui me mènera vers toi
Large et grande  est en moi !

©SuzanneServeraRipoll
Voir le soleil

Le soleil se montre toujours quelque part
Certains le voient et d'autres l'ignorent
Ses rayons pénètrent les eaux profondes des ports
Mais le Pied-noir, lui, ne voit jamais son départ
Car il a le soleil dans son cœur plein de chaleur
Chanceux est le Pied-noir, de sa naissance
A sa mort, d'un instinct naturel ne connaît le silence
Contre tous les deuils et douleurs il n'est pas chialeur
En toutes saisons et même la nuit
Pour lui, au loin le soleil brille
Bien chaussé ou en espadrille
Par le soleil de demain il sera séduit
Le soleil se montre toujours quelque part
Il est là, pour tous à voir
Pour les bavards et pour ceux qui attendent le soir
Pour le Pied-noir, dans le soleil il n'y a de rempart
Il le voit ce soleil, il le touche de ses mains
Il l'embrasse et à une autre génération il l'offre
Sachant garder ses souvenirs dans un petit coffre
Car pour lui tous les chemins sont parfumés de jasmin
Voir le soleil c'est le laissé couler dans ses veines
Demande à un Pied-noir, il t'expliquera
En chantant peut-être ‘qué céra céra'
Car crois-moi, le Pied-noir sait fleurir sa vie de cyclamen

©SuzanneServeraRipoll
Sans Haine

Loin de ma patrie et avec une reine
Alors que je croyais mourir à la guerre
Guerre- Que dis-je !  Terrorisme qui m'a laissé sans haine
Mon père disait ‘l'histoire se répète
Tous les 20 ans une guerre nous guette'
Durant ces années de terreur
J'ai du apprendre à me servir du revolver
Peur, peur, qu'est-ce-que la peur ?
Tenue, pendant une heure, à bout portant de mitrailleuse
Par un rebelle au regard glacial
J'avais la bouche pâteuse !
Mais je ne quittais des yeux cet homme bestial
Combien de morts en cette fin de journée ?
Je ne sais plus, mais ma chère amie Marie-France
Elle est là-bas dans un caveau de famille
De l'autre côté de la Méditerranée
Elle était Pied-Noir et son nom glorifiait la France
Pauvre fille qui restait toujours tranquille dans sa coquille
Pourquoi ?  Elle ?  Et tant d'autres laissant des orphelins
Par quel miracle, ai-je survécu ces années de violence ?
Et pourquoi ?  Pour voir l'Algérie dans le déclin
Le destin de Marie-France est tombé dans le silence
Le mien, m'oblige à écrire sur ce temps doux-amer
J'écris, j'écris et ne sais qui va s'en intéresser
Qui veut savoir qu'avec un petit baluchon j'ai traversé la mer ?
Pourtant, moi, par le passé, je suis pourchassée !

©SuzanneServeraRipoll
A Camus

Les écrits de Camus, qui ne les ont pas lus !
Oui, la thèse de l'abandon a triomphé
Saignant les Arabes comme les Français
Camus, comme vous devez être déçu !
Ces soldats Musulmans rapatriés
Ces soldats Pieds-noirs rapatriés
Le même uniforme sous le même drapeau
Pour la France, ces soldats tombèrent en lambeau
Du plus loin de l'histoire
Le fait de l'Algérie était sans espoir
Déjà sur le pays le glas sonnait
Le glas du mensonge à la randonnée
Ces Français d'Algérie irriguèrent les terres desséchées
Et leurs droits de citoyens leur furent soufflés
L'Arabe et le Pied-noir rebondissaient d'honneur
Déchus, ils restèrent l'amertume au cœur
La France a eu des hommes bien
Le Bachaga Boualem, de cette chaîne précieux lien
Comme nous, il voulut l'Algérie Française
Avec Amour et avec Nous, il a chanté La Marseillaise
Le Français de Picardie, de Normandie ou de Paris
La garder ou la donner cette Algérie, il n'en faisait pas son parti
Des métropolitains, des Pieds-noirs, des Musulmans et le
fils de Bachaga Boualem, Abdelkader                               
Sont morts sous le joug du F.L.N  passant par l'enfer
La France abandonna sa colonie
La France ne s'est pas battue
Avec un Grand Je Vous Ai Compris
Au F.L.N  elle s'est vendue
Qu'en dites-vous Monsieur Camus ?

©SuzanneServeraRipoll
Lisette

Lisette ma petite Lisette
Aux cheveux blonds ondulés
Retombant sur ton visage serein
Là-bas tu étais avec moi
A travers ces nuits d'enfer
Dans le crépitement des rafales de mitraillettes
Assourdissant mes oreilles innocentes
La peur agrippant mes entrailles
Lisette ma petite Lisette
Belle douce et muette
Tu me cajolais jusqu'au sommeil
Tu me souriais à mon réveil
Lisette tout comme moi tu n'as jamais compris la guerre 
Je n'étais qu'une enfant effrayée
Chanceuse de t'avoir à mes côtés
Tu es venue à moi une nuit de Noël
Pas comme un jouet – comme une amie
Lisette ma précieuse poupée


©SuzanneServeraRipoll
Le Tunnel

Dans le puzzle du passé
Un oiseau chante
Chatouillant mes souvenirs
Secouant mon enfance, mon cœur, mon tout
M'entraînant dans les beaux jours d'hier
Le soleil est haut, la lumière éclatante
Et la nuit, la hyène pleure
Malgré tout réchauffant même la moelle de mes os
J'entends le murmure de la source tout près
Et les chameaux qui blatèrent sur les chemins du Sahara
Dans la plaine de la Mitidja la terre est riche
Le blé germe, c'est l'or pur de la famille
Maintenant j'arrive à la table de bois
Je sens les fruits dans le bol
Je casse et mange le pain croustillant du jour
Le vieux pardessus de mon père est là
Suspendu sur un crochet au mur
Des larmes de joie roulent sur mes joues
L'amour est là pour moi, pour nous
Mais le temps s'efface
Il reste une rose et un lilas
Que ma petite main ramasse
Pendant que le tonnerre rase l'océan et
Craque dans mes oreilles

©SuzanneServera Ripoll

Un jour, ici dans mon nouveau pays, l'Australie, le cri d'un oiseau m'a
ramené jusque dans mon enfance me faisant voyager dans le tunnel 
du passé et j'ai eu la vision d'un temps heureux.  J'ai revu mon père 
dans ses  jardins de Maison-Carrée et ses champs de labeur, j'ai revu
le soleil si chaud de l'Algérie, ses animaux sauvages et je n'avais 
plus peur seulement une bonne chaleur au cœur. 

Mes poèmes 6